La raison du cœur
par Yann Thibaud

Guerres sans fin, effondrements économiques et financiers à répétition, creusement de l'écart entre riches et pauvres, manipulation et appropriation du vivant par des firmes d'une avidité sans limites, concentration de la quasi-totalité des médias entre les mains de quelques décideurs, exploitation, asservissement et torture systématique du peuple animal dans les élevages en batterie notamment, généralisation de technologies dangereuses pour l'être humain (téléphones mobiles, antennes-relais, WiFi, lignes à haute tension, empoisonnement chimique des sols, des rivières et des nappes phréatiques…) : on dirait que le monde que nous connaissons est en train de se disloquer peu à peu ; et la si orgueilleuse civilisation occidentale, qui devait apporter au monde entier le bonheur, la justice et la paix, ne cesse au final d'accumuler les revers et les désastres.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Où le bât blesse t-il ? Où nous sommes-nous trompés ?

Il est clair que l'on ne résoudra pas les multiples problèmes actuels, par quelques rafistolages ou ravalements de façade, alors que le mur lui-même est en train de se fissurer et s'apprête à s'effondrer. Car chacun se doute bien que la crise est globale, structurelle et civilisationnelle, voire spirituelle.
Pour comprendre ce qui s'est passé, il est nécessaire de remonter le temps et de s'intéresser quelque peu à l'histoire des cultures et des idées.

Au 18ème siècle, en Europe, les philosophes des Lumières conçurent le projet (à l'origine des révolution française et américaine), d'un monde nouveau, affranchi du joug de la monarchie comme de l'obscurantisme de la religion, entièrement gouverné par la raison, sous l'égide de la science et du droit.
Mais qu'est-ce que la raison ?
Ce mot vient du latin ratio qui signifie calcul. La raison pourrait ainsi être définie comme l'aptitude au raisonnement, la capacité d'aboutir à une conclusion logique, à partir de faits observés ou de données recueillies.
Or ce n'est là qu'une faible partie des facultés de l'esprit humain, parmi lesquelles on pourrait citer la créativité, l'inspiration, l'intuition, l'instinct, le sens pratique, le sens esthétique, le sens moral, le sens de l'humour, l'affectivité, l'idéalisme, etc.
Réduire l'être humain à sa seule dimension logique et raisonnante, c'est nier sa richesse et sa complexité, l'amputer de sa sensibilité et de son imaginaire, et l'empêcher de manifester son plein potentiel.

Beaucoup parmi nous ont ainsi souffert durant leur jeunesse, d'une éducation privilégiant systématiquement le mental rationnel au détriment des autres facultés ; à cause de celle-ci, nous avons bien souvent pris l'habitude de n'accorder de valeur et d'intérêt, qu'à ce qui est sûr, certain et « scientifiquement prouvé » et à nous méfier et nous couper de nos sentiments, nos idées intuitives et nos perceptions subtiles ; le jeune enfant, par exemple, qui spontanément joue avec les fées, scrute les auras et pratique la télépathie, apprend bien vite que « tout cela n'existe pas et n'est que le fruit de son imagination » et s'empresse alors de nier, d'oublier et de perdre ses dons naturels.

Mais les philosophes des Lumières (Rousseau en particulier), étaient loin d'être dépourvus de toute sensibilité ou spiritualité ; et l'on peut affirmer que leur pensée a été simplifiée, mythifiée et dénaturée, pour aboutir à une conception incroyablement limitée de la raison et du mental humain, dominante aujourd'hui.
C'est ainsi que, peu à peu, au cours des deux siècles passés, sous l'influence de différentes philosophies matérialistes et surtout à cause du développement considérable des technologies et de l'industrie, le rationalisme, le scientisme et l'économisme, le culte du progrès et de la croissance sans fin, sont devenus, de fait, l'idéologie officielle de notre société.

S'est ainsi progressivement imposée l'idée que l'être humain est avant tout un agent économique, un travailleur et un consommateur, et que son existence n'a d'autre finalité que de produire et de dépenser, afin de faire tourner la « machine économique ».
Cette conception robotique de la nature humaine (résumée par le fameux « métro-boulot-dodo »), a finalement accouché d'un monde froid, bureaucratique et technocratique, gris, terne, triste, parfaitement rationnel et désespérant, où le meilleur de l'être humain (le rêve, la poésie, le sentiment, les aspirations essentielles.), se trouve systématiquement dévalorisé, négligé ou passé sous silence.

Pourtant, au sein même de la société occidentale, a toujours existé un autre courant de pensée, se déclinant en de nombreux mouvements ou mouvances, qui ont mis en avant d'autres aspects ou facultés de l'esprit : l'affectivité et le sentiment avec le romantisme, l'unité mystique avec la nature du transcendantalisme américain, le rêve et la créativité spontanée du surréalisme, les états modifiés de conscience avec le psychédélisme et le mouvement hippie, l'accomplissement de soi avec le développement personnel et les multiples thérapies, la quête de l'Éveil avec la vogue des spiritualités orientales, le retour à la sagesse ancestrale avec l'intérêt pour le chamanisme, etc.

Ainsi un vaste mouvement se dessine aujourd'hui, de personnes qui, par des moyens très variés, entreprennent d'explorer les paysages et territoires méconnus de leur conscience ou de leur esprit.
Aussi, rien ne nous oblige à demeurer éternellement superficiels et esclaves de la dictature du mental rationnel, ni à rester indéfiniment tributaires des erreurs et lacunes de notre éducation.
Rien ne nous interdit de découvrir et d'employer nos ressources intérieures, jusque-là bien souvent occultées ou en sommeil.
Comment donc contacter notre sagesse intuitive et nos sentiments profonds, et pourquoi est-ce si important ?

Si l'être humain détruit actuellement sa planète de résidence, ce n'est pas sans raison : il agit ainsi à l'encontre de ses propres intérêts, parce que son esprit se trouve comme hypnotisé et altéré par un étrange mode de pensée, fondé sur la peur, le mépris, la domination, le contrôle, l'exploitation et l'asservissement de la nature et des êtres qui y vivent.
Or ce sont précisément ces mêmes attitudes, à l'égard cette fois des autres êtres humains, qui sont à l'origine des graves injustices et spoliations, faisant le malheur des peuples comme des individus.

Ainsi les agissements anti-écologiques et anti-sociaux ne sont possibles, que si l'on est coupé de sa sensibilité et de sa conscience, parce que l'on pense et agit sous l'emprise d'émotions néfastes, pas ou peu conscientes.
C'est parce qu'ils n'écoutent pas leur cœur et leurs sentiments que des hommes pillent, dévastent, affament, exploitent et aliènent leurs semblables comme la nature, sans que cela les touche ou les affecte particulièrement ; car ils ont édifié un mur épais entre leur mental conscient et leur être intérieur, à force de refoulement, de déni et de contrôle.

En revanche, lorsque l'on s'ouvre à ses véritables sentiments et à son idéal, l'amour, l'empathie et la compréhension que l'on éprouve, inspirent une toute autre attitude, se traduisant par l'écoute, le respect, le dialogue, la coopération et le partage. C'est donc cette reconnexion à soi (ou écologie intérieure), qui rend possible l'émergence d'une société différente, équitable et écologique.
Ainsi la véritable intelligence réside dans le cœur : elle ne procède pas du raisonnement mais du sentiment ; et elle est la prodigieuse expression de l'esprit, libéré du carcan émotionnel comme du moule du conformisme social.

Tout se passe comme s'il existait en chacun d'entre nous, en un lieu secret et oublié de la conscience, une sagesse et une connaissance remarquables, qui se révèlent lorsque l'on expérimente la sérénité. Et avec l'habitude, il devient possible d'y accéder à tout moment, en se branchant sur la « vibration » du cœur, comme on déplace le curseur d'un poste de radio pour capter la fréquence recherchée.
Ce savoir étonnant apparaît plus précis et pertinent que nos raisonnements et déductions habituels, car il prend en compte toutes sortes de données et paramètres qui échappent à l'analyse du mental rationnel, et en fait la synthèse.
Il ne tient qu'à nous d'en faire l'expérience et de nous réapproprier ce joyau perdu ou connaissance éternelle (la philosophia perennis d'Aldous Huxley), dont les mythes et légendes du monde entier ont perpétué le souvenir.

Extraits de L'Écologie intérieure 2 : l'Alchimie émotionnelle ou le savoir du cœur.

 
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Les premières pages de
l'Écologie intérieure 1 :

retrouver et accomplir
son but de vie
(introduction
et chapitre 1)

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